Leonard Schneider, aka Lenny Bruce
Je n’avais jamais entendu parler de Lenny Bruce, quand bien même Dylan (oui le grand Robert Zimmermann) lui dédiait une chanson, jusqu’à entendre le musicien Bob Forrest, chanteur de Thelonious Monster (alors là, quasi-inconnu également en France… pourtant une pointure de la scène drunk-punk-rock de Los Angeles dans les années 1990) le citer comme une influence majeure (surtout concernant les opiacées, CQFD).
Il y a donc deux ans, avant que je ne quitte très brièvement Paris, j’avais commandé une vieille édition “paperback” (1974, je crois) de la biographie romancée du journaliste Albert Goldman, Ladies & Gentlemen, Lenny Bruce !
Pour les intéressés, Goldman a été très critiqué, ses thèses fantaisistes sur Elvis Presley et John Lennon ayant même prêté à une grande controverse, l’excellent Greil Marcus (tenter de lire son Lipstick Traces, parallèle à mon sens incompréhensible entre les avant-gardes dadaïste et punk ) ayant même qualifié son opus sur Elvis de “génocide culturel”. J’ai récemment accompli l’exploit de lire ces quelque 800 pages en anglais, please. Pour l’anecdote, Goldman, universitaire, a consacré sa thèse à Thomas de Quincey, l’auteur opiomane qui fascine tant de rock critics (Nick Tosches, entre autres).
Revenons à nos moutons, pas vierges de toute neige. À cet inventeur du One Man Show.
Lenny Bruce, par sa vie, rend compte en un personnage de multiples facettes des États-Unis des années 1960. Drogues (héroïne-méthédrine-héroïne), puritanisme faux-cul, censure, phénomène jazz underground – Lenny serait le premier rappeur identifiable, d’après ce que j’en déduis de l’histoire et cotoyait le critique jazz Ralph J. Gleason, “père de la critique rock” (d’ailleurs un prix annuel Ralph J. Gleason est dédié à un critique éminent). Bruce est un objet scénique non-identifié, il a échappé à la plupart de ses contemporains, par un cynisme et un humour noir extrêmes (non, le salut nazi de Lenny Bruce n’est pas un salut nazi!).
Bruce est lié à l’avènement du journalisme gonzo, ce style représenté par Hunter S. Thompson (les jeunes, vous avez vu Las Vegas Parano avec Johnny Depp!) et le nom moins talentueux Lester Bangs. Ce grinçant personnage a marqué toute une génération ; aussi Frank Zappa, impressionné par une prestation de Bruce, en sera un des grands héritiers grinçants et scellera son œuvre d’une aura contemptrice, pourvoyeuse d’une satire sociale aux accents brechtiens.
Eh bien, toutes ces plumes acerbes, ces grandes gueules du gonzo, ce sont les mômes de Lenny Bruce, ils ont repris son “shpritz”, ces fulgurances verbales, ces attaques logorrhéiques !
Bref, j’aurais beaucoup de choses à en dire, mais avant je voudrais continuer de me documenter, notamment en visonnant ses enregistrements vidéo.
Ce personnage est fascinant. Je n’avais jamais vu autant de procès relatés pour outrage aux bonne mœurs depuis la lecture des mémoires de Pauvert (même époque, mêmes intentions).
Tout ça pour finir par l’interrogative. Ce livre qui présente Lenny Bruce, best-seller aux États-Unis, n’a jamais été traduit en France. C’est un manque majeur. J’ignore pourquoi. Droits d’auteur ? Frilosité ? Méconnaissance ? Je n’arrive pas à me dire qu’il n’existe pas de public pour lire la vie de Lenny Bruce.
Je souhaite que l’Europe le découvre et appelle les traducteurs à se manifester.
Si vous êtes intéressés par l’aspect scénique et la censure, je vous renvoie à l’article de Lilianne Kerjan, “Satire et censure : le cas Lenny Bruce”.