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Collection de l’Art Brut

dsc02028Me voi­là donc de retour de la cité suisse, éta­blie sur les rives du lac Léman. Ville admi­rable, pen­tue et dense, tis­sée de réseaux de trans­ports qui en font une véri­table ruche bour­don­nante. Lau­sanne se donne tous les moyens, y com­pris celui d’une ligne de métro cal­quée sur la ligne auto­ma­ti­sée 14 du métro pari­sien, dont on peut être sur­pris à la fois de la dis­pro­por­tion (étant don­né la faible éten­due de la ville) et d’une rela­tive len­teur. Un petit caprice des élus locaux ?
Quoi qu’il en soit, les brumes du lac sont aus­si mythiques que le feu décrit dans Smoke on the water (écrit par Deep Purple au sujet de l’in­cen­die du Casi­no de Mon­treux lors d’une pres­ta­tion de Zap­pa & The Mothers). Pre­miers jours un peu cou­verts, puis le ciel s’est fait de plus en plus clair, dévoi­lant jeu­di (der­nier jour) des Alpes encore macu­lées de neiges en leurs som­mets. Les hél­vètes sont des gens affables, ce n’est pas une légende. Com­man­dez un café, le ser­veur vous répon­dra du typique “volon­tiers!” romand.
Par ailleurs, Lau­sanne béné­fi­cie d’une pro­gram­ma­tion cultu­relle et artis­tique variée et abon­dante, qui fonde lar­ge­ment la répu­ta­tion cultu­relle de la Confé­dé­ra­tion Hel­vé­tique (voyez l’ex­pos­tion Van Gogh en ce moment à Bâle). En plus des théâtres, des salles de concert et de la grande biblio­thèque de Riponne, la ville abrite la col­lec­tion d’Art Brut, ras­sem­blée par Jean Dubuf­fet, un joyau. Cette col­lec­tion n’a pas l’her­mé­tisme et les tra­vers de artistes “par voca­tion”, elle resi­tue à l’in­verse la démarche créa­tive comme moment de subli­ma­tion, par­fois chez des êtres tor­tu­rés (troubles psy­chia­triques, tri­so­mie), d’autres fois chez de simples out­si­ders, ayant récon­ci­lié l’œuvre avec la vie (à la manière du Fac­teur Che­val). Par­mi les plus mar­quants, l’é­cos­sais Angus McPhee et ses tis­sages de chaumes fré­né­tiques (des mains tressent comme d’autres appellent ner­veu­se­ment une ciga­rette), Mar­cel Dumou­lin creu­sant un tun­nel de 14m de long dans lequel il entre­pose et dis­pose toutes sortes de reliques d’ob­jets quo­ti­diens, les gouaches rouges expres­sives de Car­lo, rehaus­sées de gra­phor­rhées consti­tuent des œuvres fas­ci­nantes. Ce musée vous fait voir tout autre chose que l’art hyper­pro­duc­tif des bien­nales et des grands centres acqué­reurs et com­man­deurs d’œuvres modernes. Parce qu’il réin­tro­duit la notion de vie dans la créa­tion, l’art des “out­si­ders” (les non-artistes par défi­ni­tion) se rap­proche des théo­ries situa­tion­nistes (sou­ve­nons-nous de Guy Debord posant devant le Palais Idéal du Fac­teur Che­val). Aus­si parce que la véri­table œuvre, celle qui ne dit pas son nom, qui ne résulte d’au­cun finan­ce­ment éta­tique ou d’un quel­conque mécé­nat, est celle issue d’un mou­ve­ment de l’es­prit qui n’a d’autre objet que l’in­ven­tion d’un nou­veau maté­riau libé­ré de toute contrainte venue du monde de l’art sala­rié ou ins­ti­tu­tion­na­li­sé, d’un sta­tut à part deve­nu pro­fes­sion (à ce sujet, lire l’ex­cellent L’É­lite artiste par la socio­logue Natha­lie Hei­nich, Gal­li­mard, 2005).
Je remer­cie Shi­ge­no­bu Gon­zal­vez, qui m’a recom­man­dé il y a quelque temps de visi­ter ce musée, le cou­vrant d’un éloge concis et sans appel : “le plus beau musée du monde”.

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