Collection de l’Art Brut
Me voilà donc de retour de la cité suisse, établie sur les rives du lac Léman. Ville admirable, pentue et dense, tissée de réseaux de transports qui en font une véritable ruche bourdonnante. Lausanne se donne tous les moyens, y compris celui d’une ligne de métro calquée sur la ligne automatisée 14 du métro parisien, dont on peut être surpris à la fois de la disproportion (étant donné la faible étendue de la ville) et d’une relative lenteur. Un petit caprice des élus locaux ?
Quoi qu’il en soit, les brumes du lac sont aussi mythiques que le feu décrit dans Smoke on the water (écrit par Deep Purple au sujet de l’incendie du Casino de Montreux lors d’une prestation de Zappa & The Mothers). Premiers jours un peu couverts, puis le ciel s’est fait de plus en plus clair, dévoilant jeudi (dernier jour) des Alpes encore maculées de neiges en leurs sommets. Les hélvètes sont des gens affables, ce n’est pas une légende. Commandez un café, le serveur vous répondra du typique “volontiers!” romand.
Par ailleurs, Lausanne bénéficie d’une programmation culturelle et artistique variée et abondante, qui fonde largement la réputation culturelle de la Confédération Helvétique (voyez l’expostion Van Gogh en ce moment à Bâle). En plus des théâtres, des salles de concert et de la grande bibliothèque de Riponne, la ville abrite la collection d’Art Brut, rassemblée par Jean Dubuffet, un joyau. Cette collection n’a pas l’hermétisme et les travers de artistes “par vocation”, elle resitue à l’inverse la démarche créative comme moment de sublimation, parfois chez des êtres torturés (troubles psychiatriques, trisomie), d’autres fois chez de simples outsiders, ayant réconcilié l’œuvre avec la vie (à la manière du Facteur Cheval). Parmi les plus marquants, l’écossais Angus McPhee et ses tissages de chaumes frénétiques (des mains tressent comme d’autres appellent nerveusement une cigarette), Marcel Dumoulin creusant un tunnel de 14m de long dans lequel il entrepose et dispose toutes sortes de reliques d’objets quotidiens, les gouaches rouges expressives de Carlo, rehaussées de graphorrhées constituent des œuvres fascinantes. Ce musée vous fait voir tout autre chose que l’art hyperproductif des biennales et des grands centres acquéreurs et commandeurs d’œuvres modernes. Parce qu’il réintroduit la notion de vie dans la création, l’art des “outsiders” (les non-artistes par définition) se rapproche des théories situationnistes (souvenons-nous de Guy Debord posant devant le Palais Idéal du Facteur Cheval). Aussi parce que la véritable œuvre, celle qui ne dit pas son nom, qui ne résulte d’aucun financement étatique ou d’un quelconque mécénat, est celle issue d’un mouvement de l’esprit qui n’a d’autre objet que l’invention d’un nouveau matériau libéré de toute contrainte venue du monde de l’art salarié ou institutionnalisé, d’un statut à part devenu profession (à ce sujet, lire l’excellent L’Élite artiste par la sociologue Nathalie Heinich, Gallimard, 2005).
Je remercie Shigenobu Gonzalvez, qui m’a recommandé il y a quelque temps de visiter ce musée, le couvrant d’un éloge concis et sans appel : “le plus beau musée du monde”.