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Orange Julep is Dead

3100 SHERBROOKE ST E, MONTRÉAL, QC H1W 1B6.

Étrange petite bâtisse à deux pas de la rue Moreau où j’ai habi­té chez mon ami Jo’ pen­dant deux semaines. La rue Sher­brooke est une artère impor­tante, les Che­vro­let et autres Pon­tiac n’aiment pas y ralen­tir. Une étrange bâtisse d’un jaune lavasse à stores orange retient mon atten­tion, une sorte de log­gia de forme demi-sphé­rique se dis­tingue du petit pavé de deux étages : de toute évi­dence, en face du Deli Mia­mi (sorte de cli­ché un brin vul­gaire de l’A­mé­rique des motels, tout droit sor­ti d’un bou­quin de Don DeLil­lo ou Bruce Bégout, sinon du Jim­my Cor­ri­gan de Chris Ware ou du tableau Nigh­thawk d’Ed­ward Hop­per), on a affaire à un Din­ner ou quelque chose de ce goût-là. Je m’ap­proche. On trouve ça et là quelques détri­tus car­bo­ni­sés lais­sés par des ouvriers opé­rant dans la rue qui jouxte la place. Vu de face, l’en­droit est dans un état presque par­fait. Le bar est tou­jours là, avec ses inamo­vibles tabou­rets blancs. Nous avons affaire à un bouffe-vite. Lieu presque pathé­tique, mais étrange et par­tant, fascinant…

Planche de Chris Ware, Jim­my Cor­ri­gan (2002, Delcourt)

On a dû déguer­pir il n’y a pas long­temps. Toutes les machines y sont encore et ne semblent qu’at­tendre qu’on les taquine pour les remettre en ser­vice : machines à café, caisse enre­gis­treuse, je crois même dis­tin­guer un res­tant de stock de frian­dises et un ampli-tuner des années 80 ! La pein­ture écaillée a com­men­cé à tom­ber çà et là, les com­po­si­tions de fleurs sus­pen­dues sont tota­le­ment déshy­dra­tées, comme ces vieilles fleurs des champs séchées dont on déco­rait cer­tains marque-pages pré­ten­du­ment venus de la terre promise.

Nigh­thawks, Edward Hop­per, 1942

Tota­le­ment cap­ti­vé par les places aban­don­nées où semblent s’être figé le temps, je prends quelques cli­chés de l’en­droit. Un pan­neau, der­nier élé­ment d’in­for­ma­tion, indique que l’on sert ici le déjeu­ner de 7h30 à 11h30. En tout cas, nous n’en aurons pas ce jour-là. Rien n’ex­plique, ni annonce, ni même écri­teau signa­lant une quel­conque vente ou une loca­tion d’un endroit clos et aban­don­né. Je per­siste à pen­ser que l’en­droit est ain­si depuis quelques années, sinon une décennie.

Il n’en est rien.

Après quelques recherches, cet endroit semble avoir été très pri­sé des mont­réa­lais (d’au­cuns parlent même de la fin d’une véri­table ins­ti­tu­tion) et s’ap­pe­lait fiè­re­ment l’O­range Julep. Il a fer­mé pas plus tard que l’an­née pas­sée, per­dant son enseigne lumi­neuse typique du kitsch de ces res­tau­rants fami­liaux des bords de route qui laissent pro­gres­si­ve­ment place à Star­bucks, Café Répu­blique, et autres St-Hubert. Le patron, fon­da­teur de deux autres fast-food “Orange Julep” (dont celui très en vogue en forme d’o­range), mon­sieur Gibeau, âgé, a déci­dé de fer­mer cette antenne qui ne fait plus recette, les employés ont tous été licen­ciés. “Au delà de cette limite, votre ticket n’est plus valable” comme le disait le titre du fameux roman de Romain Gary… La démo­li­tion est imminente.

L’his­toire est briè­ve­ment rela­tée sur le site du Mont­réal Express.

Orange Julep, mai 2010 (pho­to Jere­my Jeanguenin)

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