Alain Péters : le temps prend pas dessus
Alain Péters, le musicien aux semelles de vent (Gilbert Pounia, meneur de Ziskakan, se plaît à le comparer à Rimbaud), n’a jamais été aussi connu et loué qu’aujourd’hui. De son vivant, son œuvre n’excédait pas les frontières physiques du littoral réunionnais : il était pour ainsi dire, inconnu du grand public. Il faut dire que cette dernière révèle en filigrane un caractère chaotique, imprévisible : chaque coup d’éclat est souvent lié à une rencontre, qui agit comme un déclencheur de l’accouchement des esprits. Qu’il s’agisse de Jean Albany, le poète de la “créolie”, de Loy Ehrlich le multi-instrumentiste, de Pierrot Vidot, de l’admirateur Jean-Marie Pirot (décédé il y a quelques mois) ou encore des agents culturels comme le co-fondateur de l’association des écrivains réunionnais Alain Gili ou fondateur de l’association “Village Titan” Alain Séraphine , le génie Alain Péters a eu la chance de faire des rencontres qui ont permis de graver sur l’acétate ses compositions.
Ainsi, l’œuvre d’Alain Péters apparaît composée essentiellement de fragments : de 45 tours en cassettes éditées par l’Association des écrivains réunionnais (ADER). Rappelons au passage que la cassette Chante Albany est la première cassette audio jamais éditée et publiée à La Réunion, en 1978.
Dans le même temps, Alain Péters a formé Caméléon, groupe dans lequel il officie comme bassiste et co-compositeur, avec Loy Ehrlich aux claviers et percussions, René Lacaille à la guitare, Bernard Brancard à la batterie, Joël Gonthier aux percussions et Hervé Imare au chant (décédé en 2016). Une des compositions typiques de la poésie d’Alain Péters (la thématique du vagabondage et du détachement matériel, de la marginalité), et probablement la plus connue, est La rosée si feuilles songes, chantée par Hervé Imare.
En mouvement, la formation évolue vers celle de “Carrousel” qui verra plusieurs moutures, notamment lorsqu’Alain Péters, trop imprévisible, sera remplacé par Kiki Mariapin.
Il existe un extrait filmé dans le sous-sol du cinéma Royal de Saint-Joseph, repaire où la bande aimait à cuisiner un jazz à la réunionnaise sous forme d’interminables “boeufs”, avec Luc Donat pour invité. On y retrouve Alain Péters à la basse, René Lacaille à la guitare, René Audrain (ancien chef d’orchestre du Jazz Club de La Réunion, disparu en 2016), Bernard Brancard à la batterie et Loy Ehrlich aux percussions.
Puis, en 1979, Alain Péters compose deux titres dont les paroles sont de son ami poète Jean Albany, qui paraîtront sous forme d’un 45 tours (toujours sous la bienveillance de l’ADER et des Disques Issa) : Bébett’ Coco et L’Tonton Alfred. Cette fois, Alain Péters est au chant, ce sont les Soul Men qui assurent les instrumentaux. Deux choses me frappent : la qualité des interprétations et les images véhiculés par la langue créole d’Albany, qui fait appel à une connaissance des métaphores et autres expressions idiomatiques du kréol réyoné (“Fais pas trop jacona”, “ça qu’na corn’ té mère-guêpe, quand lu fait son tégor”, “Com tecque-tecque dann lo flèr mât d’choca”).
On notera que du point de vue commercial, les disques sur lesquels a joué Alain Péters édités à la Réunion sont estampillés “Séga”, un qualificatif que l’homme aurait probablement discuté.
Pour les curieux, les deux compilations consacrées à Alain Péters (puisque jamais il n’a sorti sur disque un album entier de son vivant : seule la cassette “Mangé pou le coeur” était un album), parues sur le label Takamba du Pôle régional des musiques actuelles (PRMA), Parabolèr (1998) et Vavanguèr (2008), sont hélas épuisées. Une chose est certaine, c’est que la musique d’Alain Péters le temps prend pas dessus !
Alors, de décennie en décennie, Takamba nous fera-t-il le cadeau d’une réédition en 2018 ? A suivre.
En attendant, il faut écouter la superbe compilation Oté Maloya ! : The birth of electric maloya on Reunion Island 1975 – 1986, publiée par le label londonien Strut. On y trouve enfin une réédition digitale de La rosée si feuilles songes.