Dave Richmond, bassiste de Histoire de Melody Nelson de Gainsbourg
J’ai creusé cette affaire pendant plus de dix années. En l’absence totale de crédits d’interprétation (le livret est mutique), de nombreuses hypothèses ont circulé sur l’identité des musiciens assurant la rythmique de Histoire de Melody Nelson, ce flop commercial passé inaperçu en 1971 mais porté aux nues dès les années 1990 pour atteindre le statut “cultissime” dans les années 2000. Or, en 2011, à l’occasion de recherches iconographiques pour l’illustration d’un coffret, des photographies de Gainsbourg au studio Marble Arch ont refait surface. Il s’agit des clichés réalisés et conservés par Tony Frank destinés à illustrer le livret de l’album. Point de Herbie Flowers, mais un Gainsbourg donnant des indications sur la partition au bassiste britannique Dave Richmond. Dave Richmond est assis devant le pupitre, barbe collier de rigueur et lunettes noires, tenant sa splendide basse Black Bison de la marque Burns. Selon les archives, la session où est enregistré le trio guitare-basse-batterie est datée du 21 au 23 avril 1970.
Dave Richmond, bassiste de Manfred Mann de 1960 à 1963 (date à laquelle il échange sa contrebasse pour la basse Burns) , cesse alors de tourner avec des groupes pour se concentrer uniquement sur les séances en studio. Il en résulte des participations à des albums ou des singles d’interprètes mais aussi des enregistrements d’instrumentaux de “library music” (musique produite dans l’objectif d’en accorder des licences de diffusion pour la télévision et le cinéma – voir mon article ici : La “Library Music” comme genre musical). Dave Richmond enrichit du son de sa basse des catalogues sonores qui vont illustrer les grandes séries de la BBC ou de films.
Longtemps j’ai été convaincu, par comparaison, que le bassiste n’était autre que Brian “Herbie” Flowers, un vétéran des studios Trident à Londres. Pourquoi ? D’abord parce lors des concerts hommages donnés en Europe en 2008, Jean-Claude Vannier présentait Flowers comme le bassiste original. Ensuite, Herbie Flowers a cette éducation musicale au tuba et à la contrebasse qui ont particulièrement influencé son jeu, le placement de ses notes à la basse électrique. Par ailleurs, les bassistes londoniens ont été a l’origine d’un son plus agressif et “caoutchouteux”, permettant à la basse d’être à l’avenant, “lead” funky jouée au plectre : la firme britannique Rotosound leur offrait des jeux de cordes black nylon tapewound “Tru Bass 88”.
Et ce qui peut paraître ici anecdotique ou un placement de produit ne l’est pas. Ces cordes flexibles donnent une couleur inédite à l’enregistrement de Histoire de Melody Nelson. A l’origine, elles étaient conçues pour émuler un son de contrebasse : il s’agit d’une corde de type “piano”, filée rond, enrobée dans un ruban de nylon noir : on garde donc un claquant et des harmoniques tout en évitant les bruits de glissements de doigts.
Et justement, Jim Burns, fondateur de la marque Burns, avait conclut un contrat avec Rotosound et équipait le modèle Black Bison de cordes “black nylon tapewound”.
A string that was specifically designed by James How for Jim Burns’s famous Black Bison in 1962.
This string emulates the upright bass sound and the nearest you will ever get to a double bass that can be played as an electric bass.
The magnetic stainless steel undercovers that sit below the special black nylon tape ensures the best of both worlds by having a bass that is comfortable to handle, that will work with a conventional amplifier and yet offer a sound so reminiscent of its much larger brother.
Il y a donc peu de doute à avoir sur l’utilisation de ces cordes sur le disque.
Quoi qu’il en soit, les sources ont convergé : photographies privées de la session d’enregistrement, les contrats écrits, souvent inexistants (on est alors payé en fees : une simple commision résumée à quelques billets, généralement entre 15 et 30 £ de l’époque !) permettent plus difficilement de lever le voile sur l’identité des musiciens.