Bar-Kays,  Basse,  Batteur,  Cinéma,  Critique,  Disques,  Festival,  Figures De La Soul,  Funk,  Guy Debord,  Jazz,  Musique,  Pianiste,  Psychédélique,  Stax,  Wattstax

The Bar-Kays : d’Otis Redding au funk synthétique doublé nylon

D’a­bord, bien dis­tin­guer les Bar-Kays (sorte de défor­ma­tion orale du rhum blanc “Bacar­di”, leur bois­son favo­rite, dit-on) des Mar-Keys, l’autre for­ma­tion à mul­tiples télé­sco­pages de musi­ciens bien connus de la mai­son (Dunn, Crop­per, Hayes, Jack­son Jr. …).

La pre­mière mou­ture des Bar-Kays com­prend Jim­my King (gui­tare), Ron­nie Cald­well (orgue), Pha­lon Jones (Saxo­phone), Ben Cau­ley (Trom­pette), James Alexan­der (basse) et Carl Cun­nin­gham (bat­te­rie). Pro­fes­sion­nels à 17 ans chez Stax, la mai­son fon­dée par les frère et sœur Jim Ste­wart et Estelle Axton (d’où l’apocope/aphérèse sur les noms, ST-AX), ils s’im­prègnent de leurs aînés issus de la for­ma­tion Mar-Keys et sur­tout de Boo­ker T. & The MG’s qui sera le qua­tuor sobre et groo­vy à sou­hait qui fera la gloire des disques d’O­tis Red­ding. Alors que Steve Crop­per, Al Jack­son Jr. et Boo­ker T. sont de plus en plus par­tie pre­nante de l’en­tre­prise Stax (Cop­per est qua­si­ment le n°2 de la mai­son, en tant que pro­duc­teur et song­wri­ter, son rôle pré­pon­dé­rant dans le déve­lop­pe­ment du cata­logue Stax est déve­lop­pé par Peter Gural­nik dans son Sweet Soul Music, déjà cité sur ce blog, à recom­man­der chau­de­ment!). La for­ma­tion d’o­ri­gine ne vivra que le temps d’un pre­mier album, à la pochette cha­mar­rée et annon­çant un psy­ché­dé­lisme soul pro­mis à un bel ave­nir (Par­lia­ment, Fun­ka­de­lic, P‑Funk, mais aus­si la deuxième ver­sion des Bar-Kays, plus tard Prince…) : il porte le nom du pre­mier single : Soul Fin­ger.

En effet, le 10 décembre 1967, alors qu’il accom­pagnent pour une tour­née Otis Red­ding au faîte de sa popu­la­ri­té – et pour cause – le Bee­ch­craft bi-moteur d’O­tis, petite gra­ti­fi­ca­tion du jeune mil­lion­naire, s’en­fonce dans les eaux gla­ciales du Lac Mono­na, dans le Wis­con­sin, à deux pas de la ville de Madi­son. Otis et les jeunes musi­ciens venaient de jouer à la télé­vi­sion, c’é­tait tout juste la veille. Les eaux étaient si froides que les secours sur place esti­mèrent que même le plus endu­rant des humains n’y sur­vi­vrait guère plus de quinze minutes. Ben Cau­ley sera le seul à pou­voir témoi­gner – extrê­me­ment trau­ma­ti­sé – de l’ac­ci­dent, voyant ses cama­rades du rythme cou­ler à pic, pani­qués. Cau­ley se sou­vient avoir vu Otis immo­bile sur le siège avant, il n’a enten­du per­sonne par­ler, a juste eu dans un demi-som­meil – mélange de choc et pro­ba­ble­ment du som­meil du musi­cien en tour­née – le réflexe de déta­cher sa cein­ture de sécu­ri­té et d’a­grip­per très fer­me­ment la par­tie basse de son siège, conçue pour flot­ter. Il est repê­ché in extre­mis par les auto­ri­tés et les secours, une chance quand on sait que les plon­geurs très entraî­nés ne par­ve­naient pas à tenir plus de cinq minutes dans les eaux du lac. Les musi­ciens décé­dés avaient tous entre 18 et 19 ans, Otis tout juste 27.

S’en­suit alors une période de deuil qu’il vit aux côtés d’un autre sur­vi­vant : il s’a­git du solide bas­siste James Alexan­der, qui ce 10 décembre fatal de 1967 a pris un vol com­mer­cial, l’a­vion d’O­tis étant déjà occu­pé par les autres membres et son manager.

cover_wattstax

James Alexan­der, force motrice, et Ben Cau­ley, encore chan­ce­lant, décident de ne pas bais­ser les bras et recrutent de nou­veaux musi­ciens, par­mi les­quels deux sont très cha­ris­ma­tiques : le saxo­pho­niste Har­vey Hen­der­son et le ter­rible Lar­ry Dod­son au chant. Un pre­mier album de cette refor­ma­tion des Bar-Kays sort en 1969, inti­tu­lé Got­ta Groove. C’est alors une ère nou­velle qui s’ouvre, le tour­nant psy­ché­dé­lique, où les Bar-Kays s’im­prègnent de l’in­fluence de James Brown et des JB’s, mais aus­si du mythique Sly & The Fami­ly Stone. À de mul­tiples mes­sages de paix, de fra­ter­ni­té, d’a­mour, répondent des allu­sions au com­bat pour l’é­ga­li­té du black people, tan­dis qu’en août 1965 les émeutes raciales de Watts fai­saient rage (1), tout cela enve­lop­pé dans un nou­veau goût ves­ti­men­taire, avec une pré­di­lec­tion pour les chaînes dorées (qui a dit que le rap avait inven­té le bling-bling?), les per­ruques, les pan­ta­lons pattes d’éph’ et les franges, avec du dénu­dé juste où il en faut !

C’est ain­si que l’on retrouve nos Bar-Kays refor­més en 1972 sur la scène du Watts Sum­mer Fes­ti­val, qui fera l’ob­jet du film docu­men­taire Watts­tax. Par exten­sion Watts­tax est deve­nu le nom géné­rique de ce fes­ti­val, voire de l’en­semble de la scène pour cer­tains audi­teurs. Accom­pa­gnant le “Moïse Black” qu’est le pia­niste Isaac Hayes (lui aus­si un des piliers des ins­tru­men­taux Stax), les Bar-Kays rodent ce nou­veau son, agré­men­té d’une gui­tare mou­li­nant syn­copes à tra­vers une pédale Wah Wah hyp­no­tique, une bat­te­rie réduite au mini­mum (des cym­bales char­les­ton exci­tées évo­quant tant la caval­cade que des ébats sul­fu­reux), des cuivres là aus­si expol­sifs et suin­tant à s’assécher…

Le film Watts­tax, réa­li­sé en 1973 par Mel Stuart vient d’être réédi­té en DVD et met cela en évi­dence, à tra­vers le Son of shaft, très proche du thème de Shaft, ce nou­veau film du cou­rant Blax­ploi­ta­tion, réa­li­sé par John Sin­gle­ton, convo­quant les péri­pé­ties d’un ins­pec­teur noir aus­si outran­ciè­re­ment témé­raire que trans­pi­rant la tes­to­sté­rone. Watts­tax a été aus­si com­plé­te­ment remixé et remastérisé.

Alors que le film d’o­ri­gine Watts­tax laisse entendre un infer­nal vacarme de la foule (ça se passe au Coli­seum Sta­dium de Los Angeles, la scène semble un minus­cule car­ré entou­ré de vide, les spec­ta­teurs étant priés de res­ter dans les gra­dins, jus­qu’au fameux The Fun­ky Chi­cken de Rufus Tho­mas…), la nou­velle ver­sion laisse entendre une musique (trop?) toi­let­tée, le son semble presque sor­tir de stu­dio, en dehors du mode d’en­re­gis­tre­ment live du groupe, qui les place dans une situa­tion de spon­ta­néi­té, mal­gré cette ratio­na­li­sa­tion sonore.

On retien­dra aus­si le fameux Too Hot to Stop, paru en 1976, opus encore une fois bien sug­ges­tif, les musi­ciens étant de plus en plus enclins à poser et jouer torses nus. Ain­si, le Bar-Kays ne sont-ils pas les pré­cur­seurs de groupes plus jeunes et volon­tiers exhi­bi­tion­nistes, comme les Red Hot Chi­li Pep­pers “pre­mière période” (1984 – 1991) et Fishbone ?

barkays-toohottostop-1976

Les années 1980 voient les Bays-Kays s’a­co­qui­ner confor­ta­ble­ment avec les syn­thé­ti­seurs, les basses au cla­vier et les rythmes élec­tro­niques. Finies les grosses basses Fen­der, les orgues Ham­mond endia­blés. Comme le flam­boyant Kool & The Gang de l’é­poque jazz-funk, qui s’é­tait conver­ti aux syn­thé­ti­seurs, moyen­nant un chan­ge­ment de cap (JT Tay­lor au chant) aux basses jouées au syn­thé, les Bar-Kays ont mon­tré une capa­ci­té d’a­dap­ta­tion hors du com­mun. Trop sou­vent per­çus que le backing band d’O­tis Red­ding, ils don­nèrent le meilleur d’eux-même entre fin 1970s et début 1980s, moder­ni­sant leur son sans perdre l’an­crage RnB (per­sis­tance des sec­tions de cuivres).

Laisser un commentaire