Saadiq, enfant prodige
Raphael Saadiq, par son passage à Paris (Olympia, 9 mars 2012), vient de montrer que ni sa célébrité ni ses ventes en têtes de gondoles de Fnac et autres Virgin n’avaient en rien entamé son aura. Le musicien est venu dans un premier temps nous présenter, lové dans un gros sweat à capuche et bonnet sur la tête, sa première partie, The Boogie. Groupe assez éloigné du style Saadiq s’il en est, c’est un groupe utilisant principalement des rythmiques synthétiques et samples (la guitare semblait purement décorative). La prestation tenait davantage du défilé de mode Galliano ou de la couverture des Inrocks que d’une jam blues/soul, sans compter une balance douteuse. Ainsi soit-il.
On pourrait accuser Saadiq de pomper allégrement les canons de la Motown (comparaison qui ne tient pas vraiment la route, si l’on se figure la variété des productions dans le temps), tout comme les singeurs de métier le font sans forcément rendre le procédé automatiquement indigeste (la manière de faire sans grande originalité : Kravitz, Jamiroquai, et tous les apprentis John Lennon dont je me passe de citer le chapelet interminable de noms).
Non, Saadiq a son identité, une intégrité immuable. D’ailleurs, je préfère toujours son premier album, Instant Vintage, moins pompier que les suivants.
Saadiq a donc gratifié le public parisien d’un concert qui “lui en donne pour son argent”, comme on dirait vulgairement. Saadiq, c’est aussi un groupe solide, cette bande de potes dont il dit en connaître certains depuis le lycée. La formation est large, elle comprend également une section de cuivres. Josh Smith apparaît comme un élément composite du son Saadiq, en parfait émule de Steve Cropper, son style guitaristique profondément blues écorché permet au son de rester organique. Erika Jerry aux choeurs est tout bonnement hallucinante de mouvements psychédéliques et de présence scénique. A la basse, le jeune Daniel McKay cède la place depuis quelques tournées à l’excellent Calvin Turner, qui semble avoir étudié à la perfection le jeu de James Jamerson : le son du groupe semble reposer ce soir-là entièrement sur lui. A noter que Raphael Saadiq ne joue pas de basse sur cette tournée, seulement une guitare (une magnifique Telecaster bleue pailletée). Carl “Lemar” Carter, lui aussi un permanent du groupe, tient un groove impeccable aux fûts (si l’on lui pardonne un léger relâchement au milieu de Skyy, can you feel me). Billy Kemp Jr (aka “BJ”) habite parfaitement son rôle de second vocaliste masculin, en symbiose parfaite avec Erika Jerry. Charles Jones, aux claviers et à l’orgue, vêtu en pasteur nous gratifiera de son habituel chorus vocal en fin de concert.
Il se dégage une telle énergie que j’ai l’impression qu’à un moment du concert je me prends à comparer ce groupe si cohérent et harmonieux aux Sly & The Family Stone de la grande époque. Leur interprétation de Be Here et Sometimes est divine. Le velouté soul est entrecoupé de solos de guitare de Saadiq, à mi-chemin entre Prince et Hendrix (qu’il idolâtre au point de l’avoir tatoué sur son bras droit).
Charles Ray Wiggins peut bander ses biceps, frimer, sa musique et son attitude n’en déméritent pas. Une surprenante et paradoxale humilité reprend le dessus lorsqu’il témoigne tant de gratitude à son auditoire qu’il descend signer une trentaine d’autographes dans la foule.