Chic n’est pas disco !
Non, Chic est tout sauf disco. Chic, syncrétisme de ce que devrait toujours être la musique de danse : intégralement jouée par des musiciens au style forgé par la connaissance des racines de la musique noire, instinctive. Ce ne sont pas non plus les saccades fadasses d’un Giorgio Moroder, qui n’ont d’égal que la vulgarité des nightclubs et émissions de variétés qui ont fait leur succès, ni même les pompes niaiseuses de Santa Esmeralda (et leur reprise bien connue d’un titre autrefois interprété par Nina Simone et signé Bennie Benjamin, Gloria Caldwell et Sol Marcus : Don’t let me be misunderstood).
Oubliez tout de suite Le Freak comme inévitable avatar du tube noyé dans les immondices d’une énième compil’ à la noix. Ce sont les albums entiers de Chic qu’il faut aller dénicher, surtout bien les dépoussiérer ; le saphir n’a pas besoin d’itinéraire bis : les sillons sont d’une glaise funky solide !
S’il est vrai que Chic est une véritable machine de guerre de l’industrie de la musique dansante – comme le prouve l’existence de la maison de production de Nile Rodgers et Bernard Edwards “The Chic Organization Ltd” –, les bases du groupes sont profondément soul et funk. Ces deux musiciens venus tout droit du jazz vont changer irrémédiablement la vision de la rythmique funk par une cosmogonie de staccatos (?) et de syncopes, tout en montrant que la musique dansante peut être (et doit l’être) faite par des musiciens : point de synthétiseur pour émuler la basse, ici les lignes pures et fracassantes viennent de la basse Music Man modèle StingRay de Bernard Edwards (instrument au son très moderne en 1978, qui fera des émules : Nate Watts chez Stevie Wonder, John Deacon chez Queen), et la frénétique rythmique du poignet possédé de Nile Rodgers ( sorte de rythmique reggae sous ecstasy, inspirée par le guitariste de KC & The Sunshine Band, Jerome Smith) envoie de la cocotte funky à souhait (le récent duo The Ting-Tings, quoiqu’ assez pauvre musicalement, semble bien avoir assimilé les leçons de Chic, avec le riff de Shut up and let me go, succès radio de la génération iPod qui singe à la mesure près le Good Times de Chic).
Le chœurs et voix féminins sont à l’honneur dans ce groupe mixte que le satin et le groove réunissent. Classes mais jamais ridicules, chez Chic, on n’est pas chez ces clowns de chanteurs français de supérette (suivez mon regard).
Bref, je recommande l’écoute de C’est Chic (1978) et Risqué (1979) ainsi que Chic. Oubliez les best-of qui vous coupent les interludes instrumentaux majestueux (sur I Want Your Love, écoutez le vrai glockenspiel d’authentiques cloches qui jouent la ligne mélodique, de vraies cordes, du Fender Rhodes), ou pire qui remixent sans vergogne avec moult séquences synthétiques (une orientation instrumentale qui fut hélas entièrement cautionnée et assumée par Rodgers et Edwards quand Chic fit son come-back poussif en 1992, sauce dance music). Privilégiez donc les compositions originales, sans coupes claires, dans leur contexte album.
Hélas, lors d’un concert donné au Budokan de Tokyo en 1996, Bernard Edwards se sent mal, très mal. « I got the Tokyo flu » (j’ai la fièvre de Tokyo) lance-t-il à l’auditoire, égaré , blême et effectivement en proie à une fièvre qui le contraint à s’asseoir au milieu du concert. Le grand Bernard Edwards, qui à mon sens marque autant la basse moderne et épurée que Jaco Pastorius ou Stanley Clarke marquent l’approche complexe, savante et baroque, meurt d’une pneumonie foudroyante dans sa chambre d’hôtel de Tokyo, quelques heures après le concert.
Tony Thompson, batteur du groupe (fait moins connu, c’est passé assez inaperçu dans les médias) lui aussi a rejoint les cieux de la soul et du funk en novembre 2003.
Chic fut aussi tellement mainstream qu’elle embarqua de nombreux groupes à tenter d’approcher leur sens du rythme : Queen fit date avec son Another One Bites the Dust, Bowie les exigea pour son Let’s Dance (ça vieillit déjà mal), mais aussi le producteur canadien Bob Ezrin, lors de l’enregistrement du (trop ?) mythique The Wall du Pink Floyd, qui voulut mâtiner Another Brick in the Wall – Part II de cette sauce Chic. Roger Waters en fut dépité, il aurait souhaité, au même titre que David Gilmour, éviter ce qu’il jugeait comme une concession à l’air du temps. Sans surprise, ce titre, de facture somme toute assez médiocre pour le Floyd, est sans conteste un des seuls titres connu du « très grand public », qui en général ne va pas chercher au-dela de cette gigue monocorde anti-tories, qui évite la catastrophe sonore grâce à l’intervention d’un solo éthéré de Gilmour et les cris des écoliers.
Avec de nouveaux musiciens et le clinquant qui caractérise sa formation, le Chic de Nile Rodgers a repris la route des festivals (Montreux 2005), pour le meilleur et pour le pire.
Ainsi, « c’est chic » !