Musique

L’humeur d’Ike : Bring Back That Lovin’ Feelin’

…To Be Conti­nued, album d’I­saac Hayes (1970, Stax/Enterprise)

L’al­bum …To Be Conti­nued est le qua­trième opus solo du com­po­si­teur et arran­geur Isaac Hayes, paru en 1970. Il inau­gure une suite logique de chan­sons mi-par­lées, mi-chan­tées, les fameux Ike’s Raps.

Du point de vue des com­po­si­tions, rien de très par­ti­cu­lier à noter, puisque comme dans Hot But­te­red Soul et bien d’autres, Isaac Hayes favo­rise des reprises, qui sont le ter­reau de ces inves­ti­ga­tions orches­trales et magis­trales. On y retrouve un cer­tain goût pour les com­po­si­tions Muzak de Burt Bacha­rach et Hal Blaine et c’est le fas­ci­nant puzzle (comme en écho à la pochette du disque) consti­tué par la piste Med­ley : Ike’s Mood I/You’ve Lost That Lovin’ Fee­lin’ qui retient mon attention.

Pour dire la véri­té, c’est par le fameux Live at PJs de Kool & The Gang paru l’an­née sui­vante (1971) que j’ai décou­vert ce mor­ceau. Ce live a été enre­gis­tré dans un night club d’Hol­ly­wood, PJs. Si mes oreilles ne me trompent pas, c’est Den­nis Tho­mas (“Dee Tee”, ou “DT”, qui s’est éteint le 7 août der­nier) qui signe la par­tie vocale de l’ou­tro (“Bring back ! Bring back, that loving fee­ling !”). Ce live a été copieu­se­ment enri­chi de pistes de cordes en post-pro­duc­tion, ce qui lui a valu des cri­tiques néga­tives. Par ailleurs, c’est assez amu­sant de consta­ter qu’en ces années 1970 – 1972, nom­breux sont les groupes à reprendre immé­dia­te­ment un titre tout juste paru (Don­ny Hatha­way par exemple, avec Jea­lous Guy de John Len­non ou You’ve Got a Friend de Carole King).

Live at PJs, de Kool and the Gang (1971, De-Lite Records)

Le génie d’I­saac Hayes, c’est l’ar­ran­ge­ment et l’or­ches­tra­tion : les com­po­si­tions sont un motif néces­saire pour construire des inter­pré­ta­tions figno­lées. Dans ce sens, on aime l’es­cro­que­rie Hayes ! You’ve Lost That Lovin’ Fee­lin’ est un titre à suc­cès co-écrit par Phil Spec­tor et Bar­ry Mann pour le duo des Righ­teous Bro­thers. Comme dans la plu­part  des Ike’s Raps, Isaac Hayes se limite géné­ra­le­ment à sup­plier son amour à genoux, décla­rer sa flamme, crier son manque. Les paroles ori­gi­nales, adap­tées dans cet arran­ge­ment ambi­tieux, prennent une nou­velle force avant de débou­cher sur une outro épique, déchirante :

Baby, baby
I’d get down on my knees for you
If you’d only love me
Like the way you used to do
We had a love, a love
A love you don’t find eve­ry day
So don’t, don’t, don’t
Please don’t take it away
Baby (baby)
Baby (baby)
I need your love (I need your love)
I need your love (ooooh)
Bring it on back (ooooh)
Bring it on back

Pas de pein­ture sociale ni de droits civiques ici, on est dans le velours et Hayes porte les cou­leurs de l’a­mour très haut. Dans un écrin où il est capable de convo­quer tour à tour un émou­vant vibra­phone, un cor plain­tif ou un haut­bois mélan­co­lique, avec force cordes et vibrants cuivres, Isaac Hayes entre en osmose avec les Bar-Kays, le légen­daire orchestre soul issu du backing band du label Stax.

 

Si l’on peut être ten­té d’y voir un exer­cice de style, le carac­tère orches­tral et la magie des arran­ge­ment l’emportent : nuances, chan­ge­ments d’at­mo­sphère, points d’orgue… Quinze minutes de tex­tures sonores indis­pen­sables, à la teinte phil­har­mo­nique incom­pa­rable dans la Soul music.